Lyon
France
Aller au restaurant, en vacances, chez le coiffeur, chez le dentiste… Pour Magalie, 42 ans, mère de jumeaux autistes de 15 ans, des événements de la vie de tous les jours qui peuvent paraître simples, demandent une organisation et une charge mentale multipliée. Et quand l’imprévu frappe, il faut être prêt.
L’un de mes pires cauchemars est arrivé. Je suis tombée en panne avec Roman et Simon dans la voiture. Dès que j’ai vu le voyant s’allumer, un scénario s’est immédiatement construit dans ma tête. J’ai toujours 10 000 scénarios d'avance dans la tête. Même quand l’imprévu est survenu, avec le pouls qui battait à cent à l’heure, j’avais un plan. Quand on est parents d’un enfant autiste, on doit préparer tout à l’avance pour éviter une crise. Rien n’est simple. Encore moins s’ils sont deux.
Si une crise éclate chez l’un, l’autre s’énerve à son tour
Simon et Roman, 15 ans, sont frères jumeaux autistes. Nous avons commencé à nous poser des questions à leurs 18 mois. Certaines acquisitions n’arrivaient pas, comme notamment le langage. Ils avaient des centres d’intérêts très restreints et nous avions du mal à obtenir un contact oculaire avec eux. Nous avons exploré plusieurs pistes vaines. Notre médecin et le psychiatre nous disaient que comme ils étaient jumeaux, ils se suffisaient à eux mêmes, ce qui pouvait expliquer le retard de la parole. La piste ORL aussi n’a rien donné. Lorsqu’ils ont eu trois ans, nous avons enfin obtenu un diagnostic oral du CEDA (Centre Evaluation Diagnostic Autisme) qui nous a donné un rendez-vous un an plus tard, pour une évaluation complète afin de placer le curseur sur leurs profils.
Aujourd’hui, ils ont 15 ans et ils vont au collège, ce qui m’a permis de reprendre une petite activité professionnelle (10 heures par semaine hors vacances scolaires), depuis cinq ans maintenant. Roman et Simon n’entrent pas dans les stéréotypes de frères jumeaux, je ne peux pas dire que mes fils sont fusionnels.
Une vie rythmée d’habitude et de routines rassurantes
Ce qui est compliqué, c'est que lorsqu’une crise éclate chez l’un, il stresse l’autre qui réagit mal aussi et ils peuvent s’en prendre l’un à l’autre. Être violent physiquement envers autrui est une des manières avec laquelle les autistes expriment leur mal-être. S’il n’y a personne, ni rien autour, il ne se passera rien. La priorité est toujours de les séparer. C’est simple, à la maison, nous avons un protocole bien rôdé, mais ça l’est beaucoup moins à l’extérieur quand l’imprévu frappe.
Nos enfants sont très attachés aux habitudes. Pour les rendez-vous médicaux, par exemple, il faut faire de la pédagogie. En ce moment, on travaille avec une infirmière qui vient à domicile pour leur montrer sur moi et faire de faux scénarios pour les habituer en vue d’une prise de sang. Au restaurant, il faut s’assurer qu’il y a leur plat préféré sinon c’est le drame. Les voyages ne doivent pas excéder un certain temps sinon ça devient compliqué. Comme ce jour où la voiture est tombée en panne.
Attendre à l’intérieur de la voiture était dangereux
Ce trajet pour les amener au collège, on le prend deux fois par jour. Et il faut prendre toujours le même chemin. Si jamais il y a un embouteillage et qu’il faut prendre un autre chemin, c'est très compliqué. Ils commencent à s’énerver et ça peut déclencher une énorme crise dans la voiture. C’est dangereux parce qu’ils peuvent s’en prendre violemment l’un à l’autre ou à moi si j’essaie de les séparer. La voiture s’est arrêtée à deux kilomètres du collège. Pour la plupart des gens, la plus grosse difficulté aurait été d’obtenir une dépanneuse. Moi, je savais qu’attendre sur le bas-côté ou à l’intérieur avec eux, serait trop long et qu’ils allaient s’énerver au risque de se faire du mal. Il fallait que ça passe d’abord par une séparation et une mise en sécurité.
J’ai donc immédiatement exécuté le scénario qui s’est construit dans ma tête. J’ai mis les feux de détresse, mon triangle, j’ai laissé un de mes fils dans la voiture et j'ai placé l’autre sur le trottoir le plus proche. J’étais prête à arrêter une voiture qui passe, mais j’ai eu de la chance, il y avait un monsieur assis sur un banc pas loin. Je lui ai demandé s’il voulait bien surveiller mon fils autiste, car je ne pouvais pas laisser son frère seul dans la voiture. Il a accepté.
Une fois mes enfants en sécurité, j’ai pu gérer ça comme une panne normale
Je suis retournée vers ma voiture et mon autre fils tout en gardant un œil sur son frère resté avec le monsieur. J’ai prévenu la directrice du collège qui est venue chercher Roman et Simon. Elle est arrivée dans les cinq minutes. À partir du moment où ils l’ont vue, ils se sont détendus. Elle les a pris avec elle. Une fois que j’ai reçu son texto pour me dire qu’ils étaient arrivés, j’ai pu gérer ça comme une panne normale. Mon stress est retombé. Tout le monde était vivant, mes fils n’avaient pas fait de crise dangereuse et ils étaient en sécurité.
Mais l'imprévu a encore frappé. Une personne s’est arrêtée et m'a proposé de l’aide pour relancer la batterie avec ses câbles (que j’avais déjà puisque, évidemment, j’avais tout prévu), mais le problème était plus sérieux que ça. J’ai appelé une dépanneuse, mais une fois au garage, on m’explique que tout ce qu’on a à me prêter pendant une semaine, le temps d'avoir la pièce défectueuse, c’est une voiture commerciale. Je leur explique que j’ai deux enfants, donc la voiture commerciale ne pourra pas le faire et qu’en plus de ça ils sont autistes. Si je ne viens pas les chercher avec la voiture habituelle, ça peut les stresser. Très sympathique, le garagiste a demandé à un coursier d’aller chercher la pièce rapidement dans un garage voisin et j’ai pu rentrer chez moi avec ma voiture.
Le monde extérieur pas toujours compréhensif
C’est grâce à ce genre de rencontres humaines que nous pouvons avoir un quotidien, à peu près, serein, mais ça n’est pas toujours le cas. Et quand ça arrive, c’est très traumatisant pour tout le monde. Le corps médical, par exemple, a du mal à comprendre que pour certains actes médicaux, on a besoin de les préparer pédagogiquement (faire des faux rendez-vous pour les habituer, utiliser des pictogrammes etc...). Au restaurant, après avoir pris une réservation, on nous a déjà fait patienter quand même, sans vouloir comprendre que c’est compliqué pour mes fils d’attendre. Depuis, on a fait une liste des restaurants, “Autiste friendly”, qui nous connaissent, qui ne nous font pas attendre et qui s’adaptent quand on leur demande un steak frites sans sauce, sans herbe et sans fioritures parce que sinon mes enfants risquent de le jeter sur le côté. Ce sont des petites choses toutes bêtes, mais ça demande de l’anticipation et de la préparation en amont.
Propos recueillis par Bénédicte Demmer
Faire confiance à ses enfants : parfois, on peut se faire un monde de certaines situations et finalement quand on fait confiance à ses enfants et à soi-même ça se passe bien. Malgré tous les risques qu’on peut rencontrer dehors, la solution n’est pas de limiter les sorties et les loisirs. Il faut les exposer le plus possible et plus souvent possible, multiplier les rendez-vous chez les différents spécialistes pour les habituer à être ausculté. Même si c’est coûteux, c’est forcément bénéfique.
Toujours avoir un plan B en tête.