France
Faire comprendre à son père qu’il devait arrêter de conduire a été une épreuve difficile pour Émeline, aidante de son père atteint de la maladie d’Alzheimer. Il a fallu accepter de passer pour celle qui le privait de sa liberté alors qu’elle devait le faire pour sa sécurité et celles des autres.
Au fur et à mesure que la maladie d’Alzheimer a évolué, j’ai commencé à m’inquiéter que mon père prenne le volant. Il avait déjà tendance à avoir peur en conduisant avant la maladie, mais petit à petit, cette appréhension de la route s’est exacerbée, au point de rouler trop lentement sur les rocades et les grandes routes, par exemple.
En montant en voiture avec lui, j’ai aussi remarqué des petits oublis : il ne savait plus comment mettre le clignotant, il oubliait quelle vitesse il venait de passer ou encore de refermer la voiture. Aborder le sujet a été très compliqué. Mon père aimait bien aller prendre un café dans le centre, s’asseoir devant la mer, aller chercher son pain ou son journal, par exemple. Il vivait un peu en retrait de la ville et pour éviter la voiture, il aurait fallu qu’il traverse de grosses routes de campagne sans trottoir, ce qui n’était pas plus sécurisant pour lui.
Lui retirer le permis, c’était lui retirer sa liberté
Il disait être tout à fait capable de conduire et ne voyait aucune raison logique à ce qu’on lui enlève la voiture. Je suis passée pour celle qui le privait de sa liberté, alors que je voulais juste qu’il soit en sécurité et qu’il ne mette personne en danger. Cette étape a été remplie de colère et de larmes. Il ne comprenait pas que de plus en plus de personnes gèrent des choses pour lui, d’autant que c’est arrivé au même moment que la nomination d’une tutrice pour son argent.
Le médecin n’a pas réussi à le convaincre
Comme je lisais beaucoup de livres sur la maladie d’Alzheimer, je suis tombée sur un chapitre qui parlait des moments difficiles à passer, dont notamment le retrait du permis. L'auteure conseille notamment de faire croire que la voiture est en panne, que les réparations sont trop chères ou encore cacher les clés etc. Mais je n’avais pas envie de faire ça.
J’ai emmené mon père chez son médecin traitant en pensant qu’une personne qui le connaissait depuis longtemps pourrait le convaincre. Il lui a expliqué que je ne faisais pas ça contre lui, mais pour sa sécurité. Comme il restait fixé sur le fait qu’il était encore capable de conduire, le médecin a tourné la discussion sur les dangers extérieurs en insistant sur le fait qu'il y avait beaucoup de monde sur la route, que le code et les panneaux avaient changé et que les gens sont dangereux. Mais ça n’a pas été plus efficace.
La vente de la voiture a été une étape traumatisante
Voir la voiture par la fenêtre du salon déclenchait immédiatement la discussion sur ma volonté de lui retirer le permis. Avec la tutrice, nous avons pensé que s’il ne voyait plus la voiture, il pourrait s’habituer petit à petit et l'oublier. J’ai donc fini par devoir choisir l’option que j’avais lu dans le livre : le mensonge. J’ai pris l’excuse d’un besoin de réparation trop important qu’on ne pouvait pas financer et qui imposait de la vendre.
J’ai tout fait pour lui permettre d’oublier la voiture tout en conservant sa routine sans le perturber. J’ai demandé aux aides à domicile de l’emmener le plus possible en course. Dès que je venais, je l’emmenais où il voulait et ses amis venaient le chercher pour aller manger une fois par semaine. Et finalement ça s’est fait tout seul.
Malgré tout, l’étape de la vente de la voiture a été très douloureuse. Voir ses affaires être retirées de la voiture pour être éparpillées au milieu du salon a été traumatisant pour lui, d’autant que je n’ai pas pu être présente.
Au début, il m’a posé beaucoup de questions, du type : “Où est la voiture ? Combien on l’a vendu ? Comment je vais faire sans ?”. J’essayais de lui expliquer que cet argent permettait de payer les factures, que c’était une bonne chose. Cette étape a été très dur à vivre pour moi. Je faisais ça pour sa sécurité et lui me voyait comme la méchante qui abusait de lui. D’autant que dans ces moments-là, il y a toujours des gens qui se permettent de vous adresser leurs jugements. Avoir à prendre ce genre de décision est déjà difficile, on essaye de se convaincre que c’est nécessaire en tant qu’aidante et en tant que fille et ce genre d’intervention suffit pour vous faire douter à nouveau et faire douter votre proche aussi. Mais heureusement, la majorité de mon entourage m’a soutenue.