France
Laëtitia est la maman de Stanislas, un adolescent aujourd’hui âgé de 13 ans, atteint de cyclothymie. Un trouble de l’humeur dont le diagnostic, compliqué à poser, à cause de la méconnaissance et du tabou qui entourent les maladies psychiques chez l’enfant, a sauvé la vie de toute la famille.
C’est dur d’en arriver à faire poser un diagnostic psychiatrique à son enfant. C’est dur de se dire que l’amour ne suffit plus et de se résoudre à donner un médicament. Il y a tellement de tabous autour des troubles psychiques que c’est-ce qui est envisagé en dernier. Mais c’était devenu une question de survie. Et finalement ça a été un vrai soulagement. Parce que savoir et comprendre contre quoi on lutte nous a aussi permis de trouver des solutions.
Tomber sur le site de l’association Bicycle, a été comme une révélation. A ce moment-là tout s’est éclairé. J’ai eu l’impression de lire l’histoire de notre vie. Tous les symptômes de mon fils, Stanislas âgé de 5 ans, à ce moment-là, correspondaient à la cyclothymie. Un trouble de l’humeur qui fait partie du spectre des troubles bipolaires et qui affecte le cerveau en entraînant des phases brutales de changement d’humeur, mais aussi une mauvaise régulation de l’énergie, des pensées et du comportement.
Dans la bipolarité typique et caricaturale, ces cycles sont plutôt épisodiques et peuvent durer plusieurs semaines, voire des mois, mais dans sa forme cyclothymique (qui est la forme du trouble bipolaire majoritairement retrouvée chez l’enfant avant 15 ans), les cycles sont plutôt chroniques et peuvent se passer dans une seule journée, voire même dans une heure. Le diagnostic est souvent tardif parce que ce trouble est encore peu connu en France.
Toutes les banalités du quotidien devenaient des crises violentes
Dès tout petit, Stanislas était un petit garçon plutôt agité, qui dormait peu et pleurait beaucoup. Au début, on a pensé que les hospitalisations et la douleur qu’il avait subi à la naissance avaient dû être traumatiques et pouvaient expliquer sa difficulté à gérer ses émotions. Mais après ses 2 ans, il a continué à avoir les mêmes problèmes et rapidement tous les moments de la vie quotidienne sont devenus difficiles. Passer à table, mettre son manteau, le mettre dans le siège auto, toutes les banalités du quotidien étaient rythmés de crises d’une intensité extrême pendant plus d’une heure et plusieurs fois par jour. Il n’était que rage. Même la nounou, qui avait plusieurs années d’expérience, nous a dit qu’elle n’avait jamais vu ça de sa vie. A sa demande on a dû voir la psychologue de la crèche, mais pour elle, il n’y avait rien d’alarmant qui laissait présager un avenir compliqué.
D’autres symptômes sont rapidement apparus après. Il y a eu des TOC. Il ne pouvait pas dormir si ses chaussons n’étaient pas alignés aux lattes du parquet ou manger si les couverts n’étaient pas parfaitement parallèles à son assiette. Il y a eu aussi des problèmes d’hypersensorialité. Il ne supportait pas le parfum de la maîtresse et le bruit à la cantine lui donnait l’impression que son cerveau ”allait exploser”. La chaleur était aussi un déclencheur de crise. Un feu de cheminée a longtemps été inenvisageable à la maison, par exemple.
Le travail était devenu ma bulle échappatoire
Dans ces fameuses crises, la violence verbale et physique est arrivée. J’étais couverte de bleus, car j’étais souvent obligée de le contenir pour l’empêcher d’abord qu’il se fasse mal à lui-même et pour éviter qu’il casse tout autour de lui, surtout quand on n’était pas à la maison. Il y avait aussi du harcèlement. Il pouvait me dire “mais maman quand est-ce que tu pleures, parce que moi j’aime bien quand tu pleures”. Il lui arrivait aussi de prendre un objet qui m’était cher et le briser contre le mur. Et plein d’autres petites choses, qui, cinquante fois par jour sont trop ! Le travail était ma bulle échappatoire, à tel point que j’angoissais d’en partir. Je vivais avec la peur constante de l’appel pour venir le chercher à l’école.
Forcément on se remet en question. Est-ce que ça venait de notre éducation ? Nous avions eu exactement la même façon de faire avec sa grande sœur et n’avions pas du tout rencontré cette problématique.
J'ai retourné tout internet pour trouver quelque chose
La cyclothymie est souvent confondue avec le tempérament de l’enfant. Mais le tempérament devient un trouble à partir du moment où il y a souffrance dans la vie de tous les jours pour lui et pour les proches et que ça impacte plusieurs sphères (familiale, scolaire, amicale). C’est exactement là où nous en étions arrivés. Le soir, la nuit, pendant ma pause déjeuner ... je retournais, tout internet pour trouver quelque chose.
Le plus déstabilisant dans tout ça, c’est qu’il pouvait passer d’une humeur à l’autre hyper rapidement. Juste après une crise, il pouvait avoir de grands élans affectifs, à tel point que, parfois, dans la rue, des inconnus pouvaient me dire que nous avions de la chance et qu’il était adorable et intelligent, parce que c'était vrai aussi ! Mais il avait deux facettes. Quand il était dans une phase de changement d’humeur on avait l’impression de le perdre complètement, de ne plus être face à notre petit garçon.
Mais dans tout ça, le plus dur, c’était de ne pas comprendre car on ne pouvait pas l’aider. Parce qu’en dehors des accès de violences, on voyait bien qu’il souffrait. Il me disait souvent qu' à cause de ses crises, on allait finir par "ne plus l'aimer"..
HPI, TDAH, autisme : des fausses pistes
La première personne à qui on a parlé de ce problème c’était notre pédiatre. Elle a tout de suite pensé au Haut Potentiel Intellectuel (HPI) ou à des troubles autistiques. Plus tard un TDAH a été évoqué. Mais ça ne nous a rien apporté. Au centre médico-social, ça n’a rien donné non plus. Nous avons trouvé un temps une forme d’apaisement grâce à une psychologue spécialisée en gestalt thérapie (qui consiste à chercher le "comment" faire plutôt que le "pourquoi").
En tant que parents, ce type de thérapie nous a beaucoup aidé. On a appris à adapter notre comportement et à accompagner notre enfant avec sa différence, sans passer par une punition et lui à verbaliser son mal-être. Mais après sa dernière année de maternelle, la violence a redoublé pour les autres et pour lui-même. Un jour, il a même tenté de se jeter sous une voiture. Il fallait trouver une solution. La psy nous a dit qu’elle ne pouvait pas apporter plus, qu’il fallait passer à un stade supérieur.
La cyclothymie : un trouble de l’humeur méconnu chez l’enfant
La cyclothymie n’est pas psychologique, mais neurobiologique. Un problème chimique dans le cerveau qui entraine un trouble de régulation au niveau des neurotransmetteurs qui nécessite souvent une molécule pour le stabiliser. Mais ça nous ne le savions pas à l’époque, car le diagnostic n’avait toujours pas été posé.
En lisant, les témoignages sur le site de l’association Bicycle, on s'est rendu compte que non seulement on avait une piste, mais également que nous n'étions pas fous et qu’en plus nous n'étions plus seuls ! D’autres parents vivaient la même chose. Nous les avons contacté immédiatement, avant d'être redirigés vers le centre des troubles anxieux et de l’humeur (CTAH) à Paris. Nous avons d’abord été reçus par la psychologue pour un bilan (entretiens, questionnaires, exploration des antécédents familiaux), puisqu’il n’existe pas d’examens type prise de sang ou imagerie pour déceler une bipolarité. A la suite de ça, le diagnostic de la cyclothymie est enfin posé.
Accepter l’idée d’un traitement par médicament
Lorsque le médecin nous a parlé de médicaments, évidemment j'ai douté. Aucun parent n’a envie d’en arriver à ce stade, il faut comprendre et admettre que ça n’est pas droguer son enfant pour être “tranquilles”, comme certains pourraient le penser. A ce stade c’est pour la survie de tout le monde. Le médecin nous a expliqué que ce ne sont que de très petites doses, qu’il en a besoin, que s’il était diabétique je n’hésiterai pas.
Stan a été reçu, on lui a demandé son consentement, s’il voulait tenter un traitement pour l’aider à aller mieux. Pour lui aussi ça a été un soulagement. Il me dit “alors je ne suis pas fou ? Je ne suis pas méchant et on peut m’aider”. Il accepte immédiatement. Avec le traitement et beaucoup de psychoéducation, les crises ont diminué petit à petit. C’était une fois par semaine, puis une fois par mois et maintenant il n’y a plus aucune violence à la maison.
Aujourd’hui, il est scolarisé en milieu ordinaire
Aujourd’hui, il est scolarisé en milieu ordinaire ce qui aurait été impensable à l’époque. Il a beaucoup de copains et une bonne moyenne à l’école. On a pu reprendre nos activités, on ne marche plus sur des œufs avec la peur que chaque mot face étincelle. On peut partir en vacances aussi.
L’été dernier, nous sommes partis faire le tour de la Corse en van en changeant d’endroit chaque jour, ce qui aurait été inenvisageable à l’époque.
L'intérêt de pouvoir faire précocement diagnostiquer son enfant, c'est une prise en charge qui arrive à temps pour pouvoir donner suffisamment d’outils à l’enfant qui lui permettront d’arrêter les médicaments à l’âge adulte et quand tous les facteurs environnementaux seront favorables. Aujourd’hui, son médicament est plus une protection qu'un soin.
Contrairement à ce qu’on peut dire sur les diagnostics psychiatriques, ça n’a pas été enfermant. Il nous a rendu notre liberté. Nous avons appris qu’il ne définit pas notre fils mais qu’il doit apprendre à vivre avec et comment le faire.
Cette épreuve m’a également permis d’éclairer mon histoire personnelle. J’ai découvert d'autres cas de bipolarité dans ma famille. C’est pour ça que je me consacre beaucoup à l’association Bicycle, pour que la souffrance que nous avons vécue ne soit pas vaine et qu’elle puisse servir aux autres.
En savoir plus sur l'association de Laëtita, auteure du livre "Mon Enfant Cyclone, le tabou des enfants bipolaires" :
Bicycle est la première association française à but non lucratif d’aide aux familles et éducateurs d’enfants et adolescents ayant un trouble de l’humeur, une bipolarité, une cyclothymie. Elle est composée majoritairement de parents.
Continuer à avancer pour ne pas perdre l’équilibre : C’est pour ça que l’association dont je suis présidente aujourd’hui s’appelle Bicycle, comme l’ancêtre du vélo (en plus de la contraction de Bipolarité et CYCLothymie). Il faut se faire confiance et persévérer. Dans ces troubles-là, il y a souvent autant de diagnostics que de spécialistes rencontrés. Il faut se renseigner sur tous les troubles qui ressemblent en surveillant l’évolution. C’est le meilleur critère de diagnostic. Si l’évolution n’est pas favorable, il faut continuer à investiguer.
Ne pas prendre pour soi les manifestations du trouble de son enfant : ne pas s’arrêter au comportement, ni à ses mots, aussi inadmissibles soient-ils. Toujours chercher l’émotion derrière la colère. Votre enfant vous aime, soyez en sûr ! Et vous êtes son phare dans la tempête !