France
Lorsqu'elle était aidante de son père, Corinne a dû prendre la décision difficile de le placer en Ehpad. Elle raconte les doutes et la culpabilité par lesquels elle est passée.
Je me suis occupée de mon père pendant trois ans, après son AVC. Lorsque son état de santé s'est dégradé, même si je m'en rendais compte, je n'arrivais pas à franchir le cap du placement. Et puis, en août 2021, je n'ai plus eu le choix. Il n'allait pas bien et moi non plus.
Après son accident cardiovasculaire, mon père pouvait encore parler, marcher et manger, mais il avait des problèmes de repères dans l’espace et dans le temps. Il pouvait tout à fait prendre sa douche seul, mais il ne pouvait pas se souvenir qu’il devait le faire. Il fallait que lui rappelle.
Je voulais qu’il puisse rester chez lui le plus longtemps possible
Mon père a dû aussi apprendre, à nouveau, à effectuer certains gestes simples de la vie de tous les jours, comme faire ses lacets, ou encore utiliser certains appareils. Pour les acquérir à nouveau, il a donc dû aller un mois et demi en centre de rééducation. Il y avait aussi des choses qu’il ne voulait plus faire de lui-même, comme conduire ou utiliser le four. Je pouvais l’aider à faire à manger, mais il ne voulait pas cuisiner seul.
Célibataire, sans enfant et travaillant en tant que fonctionnaire, ma mère étant décédée, il y a plus de 10 ans, à la fin de sa période de ré-éducation, j’ai pris la décision d’aller habiter chez lui. C’était ça ou le placement d’office et je ne pouvais pas m’y résoudre à l’époque. Je voulais qu’il puisse rester chez lui, dans sa maison et son jardin, le plus longtemps possible.
Une auxiliaire de vie passait le matin et le midi. J’ai pris un congé proche aidant partiel pendant six mois. Je ne travaillais pas une journée par semaine. Et puis un jour, son état de santé a chuté.
C'était dur psychologiquement de l’emmener
Je ne pouvais plus le laisser tout seul ne serait-ce que cinq minutes. Je m'épuisais psychologiquement et physiquement. Mais c’était dur pour moi de me décider à le placer et de me dire qu’il ne reviendrait pas chez lui. Et puis avec le Covid, j’ai eu peur qu’il se retrouve enfermé tout seul et de ne pas pouvoir aller le voir.
Mon frère, qui partage avec moi la tutelle de mon père m’a dit : “il faut le faire placer, tu ne vas pas tenir”. En pleine nuit, je me suis levée pour chercher toutes les solutions possibles. N'arrivant pas à trouver de places en urgence, j’ai appelé au secours la neurologue de l’établissement où il était suivi. Mon père a été hospitalisé là-bas 15 jours. C'était dur psychologiquement de l'emmener, mais j’ai pu voir que, malgré mes craintes, les soignants là-bas s’occupaient bien de lui. Même si parfois, c'était compliqué, ça se passait bien pour lui. Ensuite, j’ai trouvé une place en accueil de jour à l’Ehpad à une dizaine de kilomètres de chez moi.
Le placement de jour : une transition vers l’Ehpad
Lors de la visite de l’établissement, on m’a expliqué que le placement de jour était souvent la transition vers le placement complet en Ehpad. Il avait des activités la journée et je pouvais le garder à domicile le soir. Ça m’a donné beaucoup de répit. Et puis un jour, quand on était chez lui, il m’a dit “je m'ennuie tout seul”, alors j’en ai profité pour lui proposer : “mais tu ne veux pas dormir là-bas ?”
Lorsqu’un résident est placé en accueil de jour, il est prioritaire si de la place se libère en résidence permanente. Quand l’occasion s’est présentée, je l’ai saisie. Il n’a jamais demandé à retourner chez lui et il n’a jamais reparlé de sa maison. Je suis toujours restée sa fille et son aidante, mais j'ai passé le relais à une équipe médicale formidable qui savait s'occuper de mon père et de ses troubles.
On reste aidant même après un placement
Aidants, nous le sommes toujours même après un placement, car notre rôle est toujours important. J'ai continué de m'occuper des papiers de mon père. J'allais le voir plusieurs fois par semaine, j'allais aux rendez-vous médicaux avec lui, je participais à la vie de l'Ehpad quand c'était possible. Je l'emmenais se promener dehors, je lui demandais constamment s’il était bien, je maintenais le lien avec lui, car il était mon père…
Il a toujours été important pour mon frère et moi de respecter et maintenir ce lien d’un père avec ses enfants. Ce n’est pas parce que je m’occupais de lui et de ses papiers que j’avais une quelconque autorité sur lui. Sa maison restait sa maison, tout lui revenait. Lorsque j'allais le voir à l’Ehpad, il lui arrivait de râler contre une de mes décisions. J'étais très attentive au ton employé, je savais parfaitement quand il s’agissait d’une réprimande à la manière d'un père envers fille qui a fait une bêtise et je respectais ça. Il était important pour nous de respecter la place du parent dans la famille, malgré sa santé.
Lorsque j'allais lui rendre visite le voir, j'échangeais avec les autres résidents, les familles et le personnel. J'ai toujours demandé s’il participait souvent aux activités. C'est une aide différente de celle que j’apportais avant, mais elle était primordiale pour mon père, moi, et le personnel de l'Ehpad. Il faut se dire qu'une entrée en Ehpad est une relation tripartite. Il faut faire confiance à tout le monde.
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Quand on est aidant de son père, son conjoint ou son enfant, on le fait nous-même. On met en place ce qu’on pense être le mieux et confortable pour eux. Ce sont des petites choses toutes bêtes parfois, mais c’est important pour nous. Mais si on décide de faire placer son proche, il faut arriver à accepter que ces choses soient faites différemment et que le proche va vivre différemment. Mon père avait, par exemple, l’habitude de se doucher à la même heure et bien j’ai accepté que ça soit plus tard là-bas et finalement il s’est très bien habitué.
Il est normal d’être épuisé, parce qu’on apporte notre aide 24 heures sur 24. Il faut accepter qu’à un moment donné, on ne peut plus. Nous ne sommes pas des professionnels de santé, il y a des choses qu’on ne peut pas savoir. Lorsque la situation de l’aidé détériore la santé mentale et physique de l’aidant et que leur relation en pâtit, il faut passer le relai au risque de devenir moins bienveillant et de laisser les nerfs et la fatigue prendre le dessus. Pour moi, c’est ça qui a été le déclic. Je me suis dit “mais qu’est-ce que tu es en train de devenir”.