France
"Il dénigre tout, elle est colérique…" S’occuper d’un proche rime parfois avec tensions et agressivité. Les origines en sont diverses – dépression masquée, troubles neurologiques ou psychiatriques –, les solutions aussi, de l’écoute au lâcher prise.
"Vous ne la connaissez pas, mais elle vous déteste déjà", cette phrase présente le film Tatie Danielle, dans lequel Étienne Chatiliez brossait en 1990 le portrait féroce d’une vieille dame exécrable avec tout le monde, en particulier avec ceux qui s’occupaient d’elle, ses aidants. Anne Claustre, médecin gériatre au centre hospitalier de Saint-Égrève, en Isère, voit dans l’attitude de ce personnage de fiction, un syndrome de dépression hostile : "On ne parle jamais de la crise de la vieillesse. Et pourtant, elle apparaît soudainement, comme un coup de gong, un rappel à l’ordre, à travers un événement, un stress particulier, une chute qui fait prendre conscience que l’échéance de la mort se rapproche."
Cette crise de la vieillesse est à l’origine de nombreux bouleversements individuels et familiaux : "la personne perd confiance en elle-même et en son environnement, et se demande : va-t-on m’aimer telle que je suis devenue ? Elle revisite sa maison, se repasse toute sa vie, et ne vit pas toujours très bien ce qui remonte", poursuit Anne Claustre. Sans atteindre les excès de cinéma de Tatie Danielle, cela peut alors générer tensions et grincements au quotidien : des "tu ne viens jamais me voir" quand on est là tous les jours ou presque, des "je n’ai pas besoin d’aide, je ne suis pas malade !" quand ménage, toilette et préparation des repas posent sérieusement problème au quotidien…
Aide à domicile : se mettre en retrait et déléguer
Maryse se souvient combien la mise en place des aides à domicile a été difficile au domicile de sa mère : « Une personne est venue, mais cela s’est très mal passé au début. Maman était très hostile. Elle me disait : “je ne lui ouvrirai pas la porte !” ». Maryse a vite compris que sa présence augmentait les difficultés, aussi n’hésitait-elle pas à s’éclipser à l’arrivée de l’aide à domicile : "Cette femme a beaucoup enduré de cris et d’insultes, mais cela finissait toujours par fonctionner. Elle savait la prendre."
Les plus proches ne sont pas toujours les mieux placés pour apaiser. Accepter de déléguer, de faire un pas en arrière, de sortir pour revenir plus tard, et de s’inspirer des méthodes des professionnelles pour apaiser une forte opposition. Maryse raconte : "Pour lui faire accepter la toilette, l’aide à domicile lui demandait d’abord de lui faire un café, puis elles faisaient un jeu. Ensuite, elles allaient dans la chambre, “je vais faire le lit”, maman la suivait. Et elle l’amenait jusqu’à la douche."
Faire face aux troubles du comportement
Dans les situations où des pathologies viennent accentuer des tensions existantes, font basculer une personnalité, ou mettent de l’agressivité là où il n’y en avait jamais, il est souvent efficace de détourner l’attention. Luc, 71 ans, s’est occupé de son épouse Jocelyne, atteinte de la maladie d’Alzheimer, jusqu’à son entrée en maison de retraite : « C’était une femme extrêmement douce, je l’appelais “ma douceur”. Avec la maladie, il y a eu une transformation progressive. Quand je lui disais : “C’est l’heure de manger”, elle me répondait : “je ne veux pas bouger”. Si j’insistais, elle pouvait me donner des coups. Une fois, j’ai voulu l’emmener faire sa toilette, elle m’a tapé, griffé, puis s’est enfermée dans la salle de bain. »
Luc a alors cherché une solution à chaque nouvelle opposition : "je détournais son attention, je l’emmenais faire autre chose, puis dans le mouvement, je revenais vers ce que j’avais prévu de faire… " Il a aussi accepté de lâcher prise, quand plus rien n’était possible : "Quand j’arrêtais la télé, elle piquait une crise. C’était impossible de la faire bouger. Je revenais la voir, une demi-heure plus tard, j’arrivais parfois à la faire venir au lit. Mais bien des fois, elle passait sa nuit sur le canapé." Alors, Luc sécurisait, laissait une veilleuse. Il s’adaptait, chaque fois qu’il le pouvait, malgré le découragement. Car rien n’était jamais acquis : les situations se stabilisaient, puis il fallait à nouveau improviser.
S’échapper, souffler, garder l’équilibre
Pour Ghislaine, qui s’occupe de son mari atteint de troubles cognitifs, doublés de troubles du comportement, dans leur maison en location, dans le nord de l’Isère, les tensions et autres disputes violentes ne sont pas nouvelles : "Mon mari explosait, faisait voler les assiettes… Et c’est toujours le cas avec la maladie. Avant, j’affrontais, maintenant, je fais le dos rond, ça ne sert à rien d’aller au conflit." L’équipe mobile de gériatrie (1) du centre hospitalier de Bourgoin-Jallieu a dû venir trois fois, cas rare, pour apporter son aide au couple. Ghislaine a pu rencontrer la psychologue de la plateforme de répit (2) du nord de l’Isère, et déposer "tout ce qu’elle avait sur le cœur." Peu habituée à ce type de démarche, elle n’aurait pas franchi le pas toute seule, mais le recommande désormais à tous.
"Mais si je me lamente, ce sera pire ! C’est moi qui finirai par tomber malade et on n’y arrivera pas !" Elle ajoute que ce qui la sauve, c’est l’association de son quartier, dans laquelle elle joue un rôle actif depuis trente ans, et qui le lui rend bien quand, à son tour, elle a besoin d’aide.
(1) Service extrahospitalier pluridisciplinaire (médecin gériatre, infirmière, ergothérapeute) qui intervient à domicile et dans les EHPAD, dans les cas les plus compliqués, pour établir ou confirmer un diagnostic, orienter les aidants, conseiller pour l’aménagement du domicile… Ces équipes interviennent à la demande des professionnels.
(2) Les plateformes d’accompagnement et de répit proposent des informations et du soutien aux proches de personnes âgées dépendantes : conseils, formations, soutien psychologique, groupes d’échange entre aidants, placement temporaire…