France
Étape incontournable au cours de certaines pathologies ou moindre mal pour continuer à vivre son quotidien, le départ du conjoint vers un établissement de soins est toujours vécu comme une culpabilité par "celui qui reste". Comment aborder au mieux cette nouvelle étape de la vie à deux ?
On a bâti sa vie avec l’autre, on lui a promis de rester à ses côtés "pour le meilleur et pour le pire". Ou bien cette rencontre s’est faite sur le tard, et on se réjouissait des belles années à deux que la vie nous promettait. Et soudain, surgit la maladie, le handicap. Après le choc du diagnostic, le quotidien devient de plus en plus pesant, jusqu’au jour où le mot jusque-là inenvisageable est prononcé : institution de santé,maison médicalisée, centre médical. "Il y a, dans l'accompagnement d'un proche atteint d’une pathologie, des moments clés particulièrement complexes. Après celui du diagnostic, vient celui où se pose la question du maintien à domicile, explique Judith Mollard, psychologue experte auprès de l'association France Alzheimer. S'ouvre alors une période trouble et difficile".
Ce moment, Catherine s'en souvient trop bien, d'autant plus qu'il est arrivé rapidement, et peu d'années après sa rencontre avec son compagnon qui a reçu le diagnostic de la maladie d'Alzheimer, il y a cinq ans. "Les premiers mots ont été posés l’an dernier, alors qu’il avait 60 ans, par l'équipe de thérapeutes qui entourait Bruno. Ils ont senti que pour nous deux, le quotidien à la maison devenait trop lourd, trop compliqué, et que par conséquent cela mettait mon compagnon en insécurité", raconte celle qui était devenu contre son gré aidante - qualificatif qu'elle a encore du mal à accepter.
Le niveau d’épuisement de l'aidant familial, point de bascule du maintien à domicile
Comme dans le cas de Catherine et de son compagnon, l'épuisement du conjoint aidant est souvent le point de départ de la proposition d’entrer en institution de santé>. Un schéma plutôt regrettable, souligne Judith Mollard : "L'aidant peut avoir le sentiment que tout, finalement, dépend de sa propre capacité à faire face, et que ce sont sur ses épaules que repose le départ de l'autre. C'est faux : ce sont les besoins de la personne malade ou en situation de handicap qui justifient cette décision."
Difficile, voire impossible, d'éviter pour autant la culpabilité qui naît alors chez l'aidant familial. On peut néanmoins mettre des choses en place pour mieux accompagner le couple dans cette épreuve. Au cas par cas, et si la pathologie ou le handicap le permet, le mieux est de pouvoir évoquer très en amont cette probabilité de l’établissement. "À France Alzheimer, on travaille cette question des limites du soutien à domicile bien en amont du moment où ce sera nécessaire, ne serait-ce que pour l'inscrire dans une réalité difficilement contournable", souligne la psychologue.
Inclure autant que possible son proche dans la prise de décision
Il est également crucial de prendre au maximum la décision de manière collégiale, avec l'accord de l'aidant, mais aussi et surtout de la personne concernée. Catherine se souvient : "Tout a été discuté avec moi et en présence de Bruno. Il a été actif dans cette décision, et il était même d'accord sur le principe. C'était hyper important pour moi de l'entendre l’exprimer en présence de personnes à l’écoute bienveillante."
Mais entre l'accord et le jour où son compagnon passe pour la première fois les portes de la maison médicale, il y a un fossé. "Ça a été l'enfer, raconte-t-elle. Je pense que ni lui ni moi n'avions vraiment réalisé que ce départ de notre domicile de couple était définitif. J'ai vraiment ressenti l'abandon."
Être accompagné pour accepter le placement en établissement
Abandon, culpabilité : ces mots reviennent dans la bouche des aidants, notamment des compagnes et compagnons qui ont dû prendre cette décision. "Je suis suivie par une thérapeute, explique Catherine. Une démarche à la fois personnelle et conseillée par les psychologues qui entourent Bruno. Il m'aurait été impossible de m'en sortir seule", ajoute celle qui évoque un véritable "premier deuil" à faire. "Je suis passée par toutes les phases. J'ai éprouvé, notamment, beaucoup de colère, contre tout le monde, contre la vie qui me demandait de le >placer en institution. Le faire pour ses parents, c'est déjà douloureux. Mais à 54 ans, pour son compagnon ? J'étais furieuse". La parole et la thérapie l'ont beaucoup aidée.
Maintenir le lien pour le couple
Aujourd'hui, une autre phase de la relation a commencé. Bruno vit en maison médicalisée dans une chambre aménagée "au maximum comme un appartement". Catherine vit à son domicile, et continue à organiser des dîners, des sorties, des escapades à deux en week-end.
"Je travaille beaucoup sur la notion d'équilibre entre l'aidant et l'aidé, précise Judith Mollard. Il ne faut jamais oublier ceci : une fois en établissement médical, votre compagnon ou compagne aura toujours autant besoin de vous. Votre rôle à ses côtés ne s'arrête pas aux portes de l'institution. Il se transforme et reste entier. Et pour le couple, l'important c'est de maintenir le lien."