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Quand son proche présente des facultés altérées, la question de la tutelle peut se poser. Quel niveau de protection juridique choisir ? Quelles questions se poser avant d’accepter le rôle de tuteur ? Ma Boussole Aidants fait le point.
Pourquoi mettre quelqu'un sous tutelle ?
L’objectif d’une mise sous tutelle de son proche et donc de la protection juridique (tutelle, curatelle...) est avant tout d’aider la personne dont les facultés sont altérées. Il s’agit de la protéger des erreurs qu’elle pourrait commettre, mais aussi des risques d’abus ou d’exploitation par des tiers. La mise sous tutelle peut être envisagée lorsqu’un enfant handicapé atteint la majorité légale, ou bien lorsqu’un proche, conjoint ou parent, voit ses facultés altérées en raison d’un handicap ou d’une maladie.
Qui peut-être tuteur ?
- Lorsque l’enfant handicapé atteint la majorité légale peut se poser la question de la nécessité ou non que son enfant bénéficie d’une mesure de protection juridique. Dans ce cas, l’un des parents devient le plus souvent le tuteur légal.
- Quand la question de la tutelle vient à se poser plus tardivement, si la personne vit en couple, le conjoint est la première personne désignée par le juge des tutelles pour assurer sa protection, conformément au principe de priorité familiale. S’il ne veut pas être le tuteur, il devra expliquer sa décision pour convaincre le juge. Dans le cas d’une procédure de divorce, il ne pourra pas être désigné en qualité de tuteur.
- Si le conjoint de la personne dépendante est trop âgé, que ses capacités de compréhension sont elles-mêmes affectées, le juge peut désigner un autre membre de la famille comme tuteur. En cas de conflit familial, ou s’il n’y a pas de tuteur possible chez les proches, le juge désigne un mandataire judiciaire (association ou individuel).
Quel niveau de protection juridique ?
Le choix de la mesure de protection sous tutelle à adopter dépend de l'état de la personne, c’est-à-dire du degré d'altération de ses facultés mentales et personnelles. Dans tous les cas, un médecin expert doit constater l’altération des facultés mentales et/ou corporelles de la personne à protéger. Toute demande de protection doit être adressée au juge des tutelles du tribunal d’instance avec ce certificat. Seul, le juge décide du niveau de protection qui est proportionné et individualisé. Une fois que la demande est recevable, la phase dite d’instance peut démarrer. « Cette audience peut être perçue comme un échange informel. Le juge des tutelles pose des questions afin de comprendre la raison de la demande. Dans ce cadre, il essayera d’avoir un avis le plus aiguisé possible », explique Alexandra Grévin, avocat au barreau de Paris en droit du handicap. L’intervention d’un avocat n’est pas obligatoire. Une fois la procédure lancée, le magistrat a un an maximum pour prendre sa décision. En pratique, la procédure prend en moyenne une demi-année.
Tutelle, curatelle, habilitation judiciaire : quelles différences ?
L’habilitation judiciaire
Elle est simple ou générale. Tous les membres de la famille doivent être d’accord à l’unanimité pour le choix de la personne habilitée.
- L’habilitation simple : l’aidant peut faire une demande d’habilitation ponctuelle pour tel ou tel acte qui aurait demandé un consentement de la personne, par exemple un acte de vente.
- L’habilitation générale : elle peut concerner tous les actes qu’ils soient d’administration (gérer un compte par exemple) ou de disposition (vendre une maison par exemple).
La sauvegarde de justice
La sauvegarde de justice est une mesure temporaire qui permet, si le juge le décide, au conjoint ou un membre de la famille ou un mandataire, de représenter la personne à protéger pour accomplir certains actes. Elle est utilisée temporairement pour un an ou deux comme telle, ou avant la mise sous tutelle ou curatelle, pour lui assurer une protection minimum dans l’attente de la décision.
La curatelle
Le juge peut décider la curatelle, qui vise à protéger la personne qui a besoin d’être conseillée pour les actes courants (achats, retraits), et assistée pour les actes les plus importants (vente immobilière, donations, etc.). Il existe plusieurs degrés de curatelle (simple ou renforcée). En curatelle renforcée, le curateur doit remettre chaque année les comptes de gestion au greffier en chef du tribunal d’instance.
La tutelle
Le tuteur représente et gère en continu l’ensemble des actes de la vie civile de la personne protégée, qui n’est plus en mesure d’exprimer sa volonté ni de défendre ses intérêts. Il doit rendre des comptes chaque année au greffier en chef du tribunal d’instance.
Quel est le rôle tuteur ?
Avant d’accepter cette responsabilité, il est important d’évaluer le temps que vous devrez y consacrer. Il dépend de différents facteurs : la mesure de protection choisie, les capacités de compréhension de votre proche, mais également sa situation sociale et son mode de vie. Exemple : s’il est sous tutelle et qu’il dispose d’un patrimoine conséquent, les actes conservatoires (souscription d’un contrat d’assurance d’un bien, paiement des charges de copropriété d’un logement, etc.) et les actes administratifs (déclaration fiscale, gestion du patrimoine immobilier, etc.) nécessiteront une grande disponibilité de votre part. S’il est sous curatelle, qu’il possède une carte de retrait et qu’il fait des achats réguliers, votre mission de surveillance et de contrôle sera nécessairement amplifiée.
En étant tuteur, suis-je prêt à rendre des comptes ?
La conduite de la vie matérielle du majeur protégé incombe au tuteur et passe par une gestion précise de ses biens. Chaque année, le tuteur doit récapituler les ressources perçues et les dépenses effectuées pour le compte de la personne protégée, avec un justificatif pour les sommes élevées. Une tâche qui occasionne parfois quelques tensions. « Quand je remplis ce compte de gestion, j’ai l’impression de gérer une entreprise », note Alain, qui assure la curatelle renforcée auprès de sa fille Camille. « C’est un des aspects les plus rudes de la mesure, parce que dénué d’humanité. » Par ailleurs, le tuteur a besoin de l’autorisation du juge (ou du conseil de famille créé par ce dernier) avant d’engager toute dépense importante ou de vendre des biens.
Suis-je tuteur pour de bonnes raisons ?
Il arrive que la tutelle devienne l’enjeu d’un conflit affectif ou financier. « Certains couples divorcés se servent de la tutelle comme d’un moyen de pression sur leur ex-époux : “C’est moi le tuteur, c’est moi qui décide” », témoigne Sébastien Breton, responsable du service juridique de l’Unapei. Outre le fait de trahir la volonté du législateur de placer l’intérêt du majeur protégé au centre des préoccupations, un tel comportement risque d’être perturbant pour lui. « En transformant le majeur protégé en objet de chantage ou de marchandage, les parents nient sa volonté et son autonomie, alors même qu’il est déjà fragilisé par la démarche de mise sous protection.»
Le conseil de famille : un organe de contrôle de la tutelle
Le conseil de famille est une assemblée de parents ou d’ "alliés" désignés par le juge des tutelles, en tenant compte des sentiments exprimés par la personne protégée. C’est un des organes de contrôle de la tutelle. Il nomme le tuteur et le subrogé tuteur, il règle le budget de la tutelle et autorise les actes les plus engageants.
L’avis du professionnel : certains tuteurs règlent leurs comptes
Pour Denis Vaginay, psychologue au sein d’un Institut Médico-Educatif : "Être tuteur implique de savoir exercer son autorité, de délivrer de l’argent de poche, d’imposer des règles… sans devenir tyrannique. Cette tâche se complique lorsqu’un lien affectif existe entre le tuteur et le majeur protégé. Dans certaines familles, la mise sous tutelle fait remonter des rancœurs ou des frustrations enfouies depuis l’enfance. Inconsciemment, certains règlent leurs comptes. Le risque le plus fréquent est l’incapacité à considérer l’autre comme un adulte. Cela peut aussi se traduire par un comportement autoritariste, des décisions prises à l’emporte-pièce, avec des effets néfastes pour la personne protégée".
L’avis d’une aidante : être maman et curatrice
Angèle est curatrice de son fils Philippe, 43 ans, porteur d’un handicap mental associé à des troubles psychotiques. "J’intervenais et j’arbitrais pour tout et n’importe quoi ! Philippe sait lire et écrire, il sait aller à la banque, mais il n’a aucune notion de l’argent. Un billet de 10 euros ne lui évoque rien, il préfère les pièces… Je suis sa curatrice depuis ses 18 ans. Il m’a fallu beaucoup de temps avant de trouver la bonne distance et de réussir à me positionner : j’avais du mal à gérer ma double casquette de maman et de curatrice ! Du coup, je passais mon temps à contrôler ses faits et gestes, rien ne m’échappait. C’est l’équipe éducative de son foyer de vie qui m’a alertée. Ils m’ont dit de prendre de la distance, d’accorder plus de confiance à mon fils." Une prise de recul bénéfique pour chacun, puisqu’ Angèle a retrouvé la juste distance, et que Philippe a pu gagner en autonomie.
Sources : "Tutelle et curatelle : tout ce que je dois savoir en 25 questions – réponses pour protéger mes proches", par Florence Fresnel, avocat, éditions Soubeyran, 2016, 9,90 euros.