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J’avais deux horloges dans la tête : mes obligations à moi et celles de mon père 

Un dé représente une face avec un cerveau dont les batteries seront rechargées et une autre face avec la batterie vide
Lieu de résidence

France

Aude Ceccarelli, aidante et auteur du livre « Sans boussole, traversée en Alzheimerland » revient sur la charge mentale qu’a représentée l’accompagnement de son père, la sensation d’isolement et comment elle est parvenue à trouver du soutien et mettre en place des aides.  

Au début, on ne se rend pas compte. C’est naturel d’aider ses parents, d’être là quand ils en ont besoin. Mais être aidant, c’est bien plus que donner un coup de main pour allumer l’imprimante. Ma sœur et moi avons dû nous partager l’accompagnement de nos deux parents malades. Mon père avait la maladie d’Alzheimer et ma mère souffrait d’une autre maladie neurodégénérative. 

J’ai commencé par m’occuper des tâches administratives, puis petit à petit l’aide a débordé sur tous les aspects de la vie quotidienne. Organisation et accompagnement aux rendez-vous médicaux, mise en place des aides à la maison avec des infirmières, des auxiliaires de vie et après l’accueil de jour, présence de plus en plus fréquente au domicile de mes parents. J’ai fini par passer trois jours par semaine chez eux pour régler des aspects logistiques et des choses intimes. J’avais deux horloges dans la tête, mes obligations à moi et celles de mon père.    

On a l’illusion que plus on en fait, plus la vie de notre proche va s’améliorer 

Chaque petite chose déborde largement du cadre d’un simple rendez-vous. Par exemple, pour le suivi à l’hôpital de jour avec le gériatre, il fallait accompagner mon père, coordonner les éléments avec le reste de l’équipe médicale (orthophoniste, médecin traitant), prendre le prochain rendez-vous et aller voir d’autres spécialistes (rhumatologue, cardiologue)… On finit par vivre la vie de l’autre à sa place. Être aidant, c’est un rôle qu’on n’a pas cherché à jouer, mais une fois qu’on a mis le doigt dedans on n’en sort plus. On le fait par amour pour ses parents et puis on a aussi l’illusion tenace qu’en faisant le plus de choses possible, tout va redevenir comme avant. La vie de notre proche va s’améliorer, la maladie et le vieillissement vont ralentir et l’échéance fatale reculer. Mais c’est évidemment totalement faux. On est dans une phase de déni.  

J’ai mis en place des aides à domicile, mais ça n’était pas assez. Rien n’est jamais suffisant. Il y a toujours quelque chose à faire, même lorsque le patient n’est plus à domicile. La recherche d’une maison de retraite est une étape très douloureuse également et ne constitue pas une solution en soi ou la fin de l’aide. On continue à être l'aidant de son parent, on s’occupe des factures, du linge, on lui rend visite, on s’assure de son bien-être et on passe à une autre phase de l’accompagnement. 

La maladie d’Alzheimer, c’est la maladie de toute une famille 

J’ai eu de la chance, je n’ai pas été jusqu’à l’épuisement physique, car j’avais le soutien nécessaire à la maison. Il faut savoir que la maladie d’Alzheimer, c’est la maladie d’une famille. Tout le monde la subit par ricochet : le conjoint du malade, ses enfants et les conjoints des enfants. J’ai dû mettre mes ambitions professionnelles de côté et mon mari s’est occupé de notre propre famille. Parce que trouver les différentes structures sur internet, prendre des rendez-vous et s’occuper de son parent qui décline sur le plan cognitif vous laisse peu de temps pour vous occuper d’autre chose et de votre carrière. J’étais dans une espèce de flou. Je me suis demandé ce que j’étais dans tout ça, quelles étaient mes perspectives et s’il était légitime d’avoir des ambitions professionnelles pour moi-même. Tout cela a commencé à me peser. On en devient nerveux et agressif, même parfois, parce qu’on n’est pas satisfait de sa situation, ni de celle de son proche. Alors pour trouver un peu de satisfaction, j’ai continué à écrire. De ce chaos organisationnel et émotionnel a émergé mon quatrième livre.   

Trouver des solutions, c’est comme un jeu de l’oie, on avance de case en case  

J’ai mis en place des aides grâce aux conseils du médecin traitant de mon père qui m’a aidée à identifier tous les organismes à côté de chez moi : CLIC, ateliers mémoire, accueil de jour, orthophoniste, psychologue, infirmière, aide à domicile. Le médecin traitant m’a également parlé des équipes spécialisées Alzheimer (ESA), proches de chez moi. Toute une équipe formidable, qui m’a proposé dix séances à domicile pour évaluer la situation. Ces spécialistes vous prennent vraiment par la main, ils vous accompagnent jusqu’à l’accueil de jour, ce qui a constitué pour moi un vrai relais. 

Je me souviens que le médecin avait écrit cette liste de "bonnes adresses" devant moi et je me suis demandée pourquoi les professionnels de santé n’avaient pas un document tout prêt à donner aux aidants, avec tout ce qu’il est conseillé de faire pour aider et soutenir un proche atteint d’Alzheimer. Car en réalité, les structures existent, mais il est difficile de les identifier quand on ne sait pas quoi chercher. Il faut se débrouiller à décrocher des adresses petit à petit auprès de chaque interlocuteur. Un véritable jeu de l’oie où on avance de case en case, la dernière étant l’EHPAD. J’ai eu beaucoup de chance parce que j’habite Paris et parce que mon parcours a été plutôt bien balisé. Je suis tombée sur des personnes impliquées et professionnelles, spécialisées dans le soin des personnes âgées, bien loin des clichés et des situations scandaleuses dont on fait étalage dans les médias.   

Aujourd’hui, je ne suis plus aidante et l’écriture m’a aidée à aller mieux. J’ai publié un livre dans lequel je retrace ce parcours accompagnement, une expérience de vie et d’écriture aux côtés de mon père, un ancien marin. Mon livre est intitulé « Sans boussole », un récit que j’ai voulu pragmatique et poétique en référence à la désorientation spatio-temporelle mais aussi à la mémoire de notre vie de famille autour de la mer et des voyages. L’idée était de laisser une trace positive et d’aider à mon tour les familles qui vivent des situations similaires.     

Aude Ceccarelli, ancienne aidante de son père et auteure du livre « Sans Boussole, traversée en Alzheimerland », un témoignage de 164 pages, disponible sur Amazon

Ma philosophie

Avec le vieillissement de la population, on finira tous par être aidant, un jour. Prendre du temps pour un proche désormais âgé et l’aider à cheminer dans la dernière partie de sa vie est une belle expérience dont on ressort transformé. On accède parfois à un aspect touchant de sa personnalité. Être présent, faire de son mieux pour soulager les maux de la maladie, contribuer au bien-être de son parent en utilisant ses propres compétences est une forme de générosité relationnelle que je trouve valorisante. C’est une autre façon de témoigner son amour.  

Mon conseil pratique

Quand on est aidant, on hésite à se faire aider. C’est une erreur. Il faut penser à soi d’abord pour pouvoir aider l’autre. Mon conseil serait de se rapprocher très rapidement des associations pour aidants. Il en existe de nombreuses. Pour ma part, j’ai été aidée par l’association Delta 7, une plateforme pour aidant composée de plusieurs structures dans le nord de Paris, qui propose entre autres, des groupes de paroles, des activités aidants-aidés, des conseils pour s’orienter dans le parcours de soin et une assistance psychologique. Rencontrer d’autres aidants est bénéfique : on se retrouve avec des personnes qui vivent la même chose que nous. Quand on passe son temps aux côtés d’une personne âgée et dépendante, on risque l’isolement social. Cette communauté m’a permis de voir qu’il y avait un monde qui existait et que j’en faisais partie. Ne restez pas seul.  

Type d'acteur
Situation du proche aidé senior
Profil aide
Auteur
Bénédicte Demmer
Date de publication