38110 La Tour du Pin
France
Brigitte témoigne de la difficulté à aider une personne dont on connait le diagnostic pessimiste.
Ma mère, Odile, a été atteinte, à ses cinquante ans, d’un cancer du pancréas. Annoncé comme fulgurant, ses chances de rémission au-delà d’un an étaient d’une probabilité très basse. J’avais à l’époque trente-cinq ans. J’ai appris dans le même temps que j’étais enceinte d’un nouvel enfant. Ma grossesse, et plus précisément mon congé maternité, m’ont permis d’accompagner ma mère entre les moments de ses différentes interventions chirurgicales et sa fin de vie qui est intervenue un an plus tard. Ce n’était pas particulièrement une grossesse facile, mais je ne travaillais pas, j’étais disponible à ses côtés. Mon papa, son époux, a bénéficié à ce moment là d’une retraite anticipée et, lui aussi, a pu être à ses côtés jusqu’à sa fin de vie. Quand le diagnostic a été posé, le contrat qu’on avait établi ensemble était que je ne lui cache rien.
Ce souhait de transparence et de vérité a été important, car il a facilité notre accompagnement à ses côtés et le respect de ses décisions qu’elle pouvait du coup prendre de façon totalement consciente et éclairée.
Lors de sa deuxième intervention, cela lui a permis de choisir le traitement qu’elle pourrait avoir. Elle savait qu’on pourrait la prolonger quelque peu avec de la chimiothérapie, mais que le pronostic vital était, de toute façon, engagé. Elle a fait son choix.
A ce moment-là, nous savions très clairement mon père et moi qu’elle souhaitait mourir chez elle. Elle savait ce qu’elle voulait. C’est en cela que nous l’avons aidée.
Le sentiment d'avoir accompli son devoir aide à faire son deuil
Tout au long de la fin de vie de ma mère, j’ai eu la chance d’avoir un père présent ainsi qu’une équipe soignante assez extraordinaire. Cette équipe m’a permis d’être au côté de ma mère, de l’aider dans des gestes de la vie quotidienne même lorsqu’elle était en réanimation. Je les ai beaucoup remerciés. C’est vrai que cela aide à faire son deuil, ensuite, quand on a le sentiment d’avoir accompli les choses. Tous ces moments d’échanges, tous ces gestes prodigués ont été extrêmement apaisants et rassurants.
Ma mère est allée jusqu’à la fin chez elle. A ce moment-là, j’étais présidente de l’ADMR (réseau associatif de services à la personne) du département où on habite. Très vite, j’ai eu le souci d’accompagner mon père pour qu’il accepte une aide à domicile, à la maison. La propreté était importante pour ma maman, mais ce n’est pas tout : cet accompagnement lui permettait également d’échanger et d’avoir quelqu’un auprès d’elle pour faire autre chose et souffler. Une bénévole de l’ADMR est également intervenue pour faire le point avec maman jusqu’à devenir sa confidente. Elle a entretenu un lien fort avec cette bénévole. Cette personne tierce, extérieure au cercle familial et amical, lui offrait, en cette fin de vie, un moment d’apaisement extrêmement bénéfique.
Une aide pour moi-même à la maison pour être auprès de ma mère
De mon côté, j’avais une travailleuse familiale qui venait à la maison. J’étais très proche de ma maman et grâce à sa présence auprès de mes enfants et pour les tâches ménagères, j’ai pu l’accompagner plus sereinement. Elle est venue m’aider à la maison avant et après la naissance du bébé. Je pouvais parler de Maman avec elle et avancer dans le deuil. Elle était formée à l’écoute et à ces sujets de fin de vie. Elle a veillé à mes côtés à ce que je ne fasse pas de dépression post-natale. Grâce à cela mon deuil s’est fait plus facilement. Cet accompagnement extérieur, professionnel, m’a permis de désamorcer pas mal de choses dans un moment où vous êtes fragilité du fait de la fin de vie de votre proche cumulée à une grossesse et l’arrivée d’un nouveau-né.
Une formation sur la fin de vie
J’ai également pu bénéficier d’une formation sur la fin de vie proposée par une association. C’est quelque chose qui m’a beaucoup aidé. Cela m’a permis de vivre sereinement la fin de vie. Cela m’a appris à se dire les choses, à être à l’écoute. Cela m’a notamment permis de gérer les moments où je n’étais pas d’accord avec mon papa. Cela a également développé ma capacité à pouvoir se dire des choses et à se dire au revoir avant que ma mère ne soit plus en capable de le faire. Cela m’a par exemple amené à demander le sexe du bébé que j’attendais avant qu’elle ne décède pour pouvoir lui dire : « Tu vas avoir un petit fils ». Il s’agit de choses qui peuvent paraitre banales mais qui sont pourtant extrêmement importantes. Cela m’a permis de vivre tous ces moments comme les derniers moments sans en avoir peur, en les apprivoisant.
Les quinze derniers jours de sa vie ont été les plus difficiles. Il y avait un profond décalage de représentations entre l’état de santé de ma mère, le déni de mon père à voir les choses en face et des médecins animés parfois par l’acharnement thérapeutique. Cela m’a valu un conflit avec mon papa. Il s’est mis en colère. Il m’a dit "tu te rends compte de ce que tu as dit au médecin". Le médecin, lui, me disait "vous voulez tuer votre mère…". Nous savions depuis le début que le cancer dont elle était atteinte allait être foudroyant. J’ai alors répondu: "Il s’agit de voir en face que ma mère est en fin de vie et pour moi cela devient insupportable de la voir souffrir ."
Je savais que la colère de mon père allait arriver
On a alors repris contact avec l’équipe de la clinique pour qu’il améliore sa fin de vie, mais il n’y avait pas d’hospitalisation à domicile dans ces années-là. Si cela avait existé je l’aurais demandé. Lorsque la personne désire rester chez elle, la possibilité d’avoir des soins palliatifs à domicile nous aurait apporté un soutien important.
Ce que je retiens de ce moment, c’est que mon père s’est beaucoup reposé sur moi. J'étais dans les réseaux de par mon métier d’infirmière et surtout sensibilisée et formée au geste et posture à adopter en fin de vie. Je savais que la colère de mon père allait survenir. Avec du recul, je me dis que c’est bien d’accompagner les aidants en fin de vie de leur aidé, de leur expliquer comment les personnes réagissent et quel mode d’écoute et de communication il faut adopter.
Il n’y avait pas de non-dit avec ma mère. Ses amis continuaient à venir la voir à la maison. Elle pouvait parler de son cancer avec son environnement proche. Notre liberté de parole nous a même permis de préparer sa célébration religieuse.
Elle savait ce qui allait arriver. Elle a été consciente jusqu’au bout. Le fait qu’on puisse en parler sans non-dits nous a préparé au deuil progressivement. L’autre point important c’est que l’on a toujours respecté son choix à elle avec un vrai souci d’être dans un discours de vérité vis-à-vis d’elle.
Ma philosophie est qu’il est important que les gens qui meurent puissent être acteurs de leur fin de vie. Que nous, aidants, on fasse avec eux mais que l’on ne fasse pas à leur place.
Pour moi la vérité aux malades est essentielle. Grâce à cela ma mère a fait le choix des derniers moments qu’elle souhaitait vivre. Il y a eu des moments où elle voulait faire des choses et où on se disait avec mon père qu’elle était trop fatiguée. Mais il fallait y aller. Mes parents savaient que qu’il s’agirait des derniers moments qu’ils vivraient comme cela.
Ce qui a également été important dans ces moments -là est qu’elle puisse continuer à prendre soin d’elle. Avant chacune de ses interventions chirurgicales elle a vu le coiffeur à l’hôpital ou à domicile. Elle aimait bien se maquiller. Pouvoir proposer des soins esthétiques, comme le coiffeur à domicile, permet de continuer à prendre soin de soi. Il ne faut pas oublier l’importance de ces soins, de ces petites attentions. Quand les amis viennent à la maison cela permet de donner une image moins malade de soi.