38300 Bourgoin-Jallieu
France
Lorsque son parent âgé perd en autonomie, la question de son lieu de vie survient. Faut-il tout faire pour le maintenir à son domicile, l’accueillir chez soi, ou bien envisager un hébergement en EHPAD ou dans un autre type de structure ? Catherine Sanches, psychologue à la Plateforme d’Accompagnement et de Répit des Aidants Familiaux de Bourgoin-Jallieu, dans l’Isère, fait le point avec nous.
Aujourd’hui, ce sont le plus souvent les femmes qui sont impliquées dans le soin et l’accompagnement des parents âgés ?
Catherine Sanches : "Il est important de se poser les bonnes questions pour comprendre les motivations qui amènent à accueillir son parent chez soi : est-ce pour passer de bons moments ensemble, être aux petits soins pour celle ou celui qui a tant pris soin, se sentir utile, ne plus être seul(e), faire son devoir, rattraper du temps perdu, réparer quelque chose, aimer jusqu’au bout ? Il faut aussi savoir d’où vient l’idée. Est-ce une femme qui se pose la question ? Une femme qui pose la question à son mari ? Un mari à sa femme ? Est-ce un frère qui a organisé une réunion de famille et suggéré à sa sœur qu’elle devrait se poser la question ? Est-ce une fratrie qui a dit explicitement : tu es la fille aînée, tu es célibataire, tu prends maman à la maison ?Selon les motivations, l’origine de la question et la situation de dépendance ou de perte d’autonomie plus ou moins prononcée du parent, les problématiques sont différentes."
Quelles sont les principales contraintes matérielles lorsque l’on accueille son parent chez soi?
Catherine Sanches : "Elles sont nombreuses, autour des questions d’argent et de la gestion des dépenses notamment. Qui va payer quoi ? Est-ce que je suis propriétaire ou locataire ? Vais-je faire une co-location avec maman ? Si la décision d’accueil est prise lors d’une réunion de famille, dans la transmission de l’héritage, que cela va-t-il donner ? Fait-on appel à un notaire ? Non, quand même pas… et bien si, pourquoi pas ? Va-t-on vendre la maison de famille ? Et qui hérite de quoi ? Ce sont des questions à se poser avant, pour amortir les futurs conflits familiaux.
Il faut aussi se demander si notre “chez soi” peut-il devenir un “chez nous” ? Si la fille aînée est célibataire, disponible, avec des moyens financiers, et qu’elle s’est entendu dire, pour ces raisons, « toi, tu peux », son logement n’est pas forcément adapté à l’accueil d’une personne âgée chez soi. La baignoire multi-fonctions qu’elle s’est payée, il y a peu, convient-elle à cette maman qui a une prothèse de hanche et de l’arthrose au genou. Les tapis qu’elle a rapporté de ses nombreux voyages sont-ils compatibles avec une maman qui marche mal et risque de glisser ?
Il y a beaucoup de choses à penser en matière de transformation du logement, de la salle de bains, mais aussi du cocon que l’on s’est choisi et aménagé. À l’inverse, si la fille aînée, la fille désignée ou qui s’est auto-désignée n’est pas célibataire et reçoit régulièrement ses petits-enfants, elle va être obligée de transformer la salle de jeux en chambre. Comment les générations suivantes vont-elles vivre l’accueil de cette maman et comment celle-ci va-t-elle supporter le bruit et le mouvement des petits enfants ?"
Quelles sont les questions à se poser pour tester notre capacité à bien accueillir son parent ?
Catherine Sanches : "Avec un compagnon, un mari, quel est son avis sur l’accueil de maman, et quelle serait son implication ? Si j’ai un petit ami régulier, comment vais-je vivre le fait que l’on ne pourra plus se voir que chez lui ? Si je suis seule, est-ce que je renonce à refaire ma vie ? Comment j’accueille un amant si maman vit chez moi ? Qui me dit que je vais rester définitivement seule ? Je vais faire de la provocation, mais à 65 ans, avec une maman de 85 ans, on ne parle pas de quelques mois, on part pour dix ans, voire plus.
Et puis, ces années de cohabitation sont un tête-à-tête avec son parent. Une maman a élevé ses enfants, leur a mis des ailes pour grandir et mener leur vie, ce n’était pas avec l’idée de les voir gérer la sienne au final. S’il y a un capital affectif fort, toute une vie où l’on s’est serré les coudes, où l’on a été solidaires, s’il y a une belle complicité qui s’est installée, un chemin de vie commun, cela interroge le projet sur un registre d’accomplissement et non de risque bien sûr.
Mais cela n’ôte rien à l’idée que la cohabitation, c’est la confrontation entre un chef d’état et un chef de gouvernement antagonistes. Si j’accueille maman qui a toujours dirigé la maison, comment cela va-t-il se passer ? Est-ce que, adultes toutes les deux, on va réussir à gérer le pouvoir de façon équilibrée ? Et comment cette cohabitation va-t-elle évoluer avec le temps ?"
Comment se préparer à cette évolution lorsqu’on envisage d’accueillir son parent chez soi ?
Catherine Sanches : "Il est utile de considérer cela comme un projet qui demande réflexion, et de devenir acteur de ses choix, en évaluant les contraintes, les risques, les impacts, les bénéfices, et de donner ou redonner une place centrale à la personne concernée par l’accueil – finalement cette maman, elle en pense quoi ?
La cohabitation que l’on envisage va évoluer, des soucis de santé plus ou moins graves vont survenir, avec le risque de voir s’abîmer la relation, surtout s’il faut prendre des décisions pour ses parents. Si la dépendance s’installe ou grandit, des professionnels, des personnes qui n’ont rien à voir avec l’histoire familiale, seront amenés à entrer dans la maison, s’ajouteront au quotidien. Cela peut être difficile à vivre pour tout le monde et compliquer la relation.>
Il est important de penser à l’avance au réseau de soins autour de la maison, pharmacie, médecin, hôpital si besoin, lieu de répit, surtout si l’on a réalisé le rêve d’investir la maison de campagne, une fois la retraite venue. Ces précautions pourront éviter d’avoir un déménagement à envisager.
Enfin, prendre maman à la maison veut souvent dire la faire changer de quartier, parfois de région, l’isoler de son réseau de connaissances. Si elle avait l’habitude d’aller au théâtre, de fréquenter un club de 3ème âge, aura-t-elle d’autres occasions de développer une vie sociale ? Quitter ceux que l’on connaît, c’est une décision qui ne se prend pas à la légère."
Quelles sont les alternatives à un accueil chez soi, autre que le maintien à domicile ou l’entrée en EHPAD ?
Catherine Sanches : "La plainte peut avoir de multiples sources, une cataracte qui s’est installée, un problème de santé passé inaperçu, des angoisses dont on peut essayer de trouver les causes, ou de réelles difficultés à vivre seul.
On peut, dans un premier temps, chercher les raisons de la plainte et essayer de les résoudre, c’est parfois possible. Si le maintien à domicile doit prendre fin, il existe d’autres solutions que l’EHPAD. Les foyers logements, aussi appelés résidence service aujourd’hui, sont un type de structures relativement ancien en train de revenir sur le devant de la scène. Conçues, à la manière des résidences pour étudiants, pour faciliter le quotidien, avec la possibilité de ne pas manger seul, ces structures sont une solution à envisager pour ne pas quitter un quartier ou une petite ville dans laquelle on a un réseau de connaissances et des activités.
Ces structures se sont développées dans les années 1960-70 quand il n’était pas évident d’avoir tout le confort moderne, surtout pour la salle de bain. Certaines ont été réaménagées en EHPAD. Aujourd’hui, on est dans une autre logique, avec le développement des logements coopératifs, des rapprochements intergénérationnels, avec une dimension de solidarité, et ces résidences retrouvent du sens.
Quel que soit le choix final, maman à la maison ou pas, l’essentiel est de savoir pourquoi on le fait et dans quelles conditions, de connaître l’avis de son parent et des proches avec qui l’on vit, et d’avoir une idée de ce qu’il peut advenir. On peut aussi faire un essai, partir quinze jours en vacances pour voir ce qui se passe, se donner le temps d’y réfléchir ensemble, de se questionner et d’envisager toutes les solutions."